Rassemblement Maçonnique International d’Athènes : Le dit... et le non dit

Publié le par L'Oracle

Article publié sur Agoravox ici


« Lieu propice pour ce Rassemblement Universel »
[1] selon Vassilos Patkas, Grand Maître de l’Ordre Maçonnique International « Delphi », la capitale Grecque vient d’accueillir du 20 au 23 juin 2008 le Deuxième Rassemblement Maçonnique International dans ce qui semble être de la part de la Franc-maçonnerie un retour aux sources, elle qui s’est toujours auto-identifiée comme « école philosophique oeuvrant pour le progrès de l’Humanité ». Elles seraient plus de 170 Obédiences Libérales et Adogmatiques, représentant 57 pays de tous les continents, à avoir participé à ce congrès, une nette évolution par rapport au Premier Rassemblement International de Strasbourg[2] qui s’est déroulé l’année dernière et avait rassemblé seulement 80 Obédiences. Deux rassemblements internationaux en deux années consécutives et un même slogan « Construire l’Europe, Construire le Monde », on aurait cru que la Franc-maçonnerie volait au secours d’une Europe meurtrie par le non irlandais au Traité de Lisbonne.

Ce qui est remarquable dans ces deux rassemblements, c’est que la Franc-maçonnerie semble avoir compris -trois siècles après la fondation de sa première loge dite « spéculative » en Angleterre- qu’elle devait s’investir plus dans la communication et s’offrir un peu d’ouverture médiatique, quitte à sacrifier son principe orgueilleux de « discrétion », euphémisme par lequel elle a toujours essayé d’atténuer son caractère secret qui demeure une intrigue Hitchcockienne nourrissant plus qu’une polémique et étouffant par ailleurs plus qu’une vérité. Ainsi, l’année dernière, son rassemblement de Strasbourg avait été assez couvert par la presse, les radios, et France 3. Et cette année, ce fut au tour de la chaîne qatarie Aljazeera de se frayer un chemin à travers le petit « trou » percé au millimètre prés dans la « muraille de silence » maçonnique, selon les termes de son envoyé spécial à Athènes, Chadi Al Ayoubi
[3].

 

« Ils sont venus ils sont tous là, dés qu’ils ont entendu ce cri, elle va mourir, la mamma… ». Oui, la mamma européenne peine un peu à retenir les cris de l’accouchement en forceps qu’elle devrait endurer après le non irlandais. Mais ne vous inquiétez pas, elle ne mourra pas, ou du moins pas pour le moment, parce qu’on en a encore besoin pour « construire le Monde ». L’Europe serait elle alors le laboratoire ou l’on va tester la future construction universelle d’une humanité rassemblée sous l’égide d’un seul Etat Mondial dans ce qui va apparaître pour les historiens du futur comme étant : « l’aboutissement logique de la dynamique de mondialisation et de révolutions éclatées un peu partout dans le monde vers les fins du 21ème siècle, au nom de philosophies universalistes et mondialistes qui ont fait comprendre à l’humanité que seul son union sous un seul pouvoir politique planétaire va lui permettre de continuer, tout en se soudant dans une seule communauté mondiale, à cultiver la différence de ses cultures et de ses pensées (ou plutôt de ce qui en restera) et à vivre en toute sécurité, à l’abri du terrorisme (bien sur), dans un monde désormais devenu (comme aléatoirement) sans frontières, et rendu plus susceptible à dépasser les malentendus qui ont longtemps nourri les conflits et les guerres pour s’unir dans un seul Etat » ? Un sublime scénario dont la prévisibilité le rend tellement probable, parce que tellement en continuité « logique » apparente avec l’actualité, qu’il ne cesserait d’être à la fois de plus en plus beau pour certains, et de plus en plus suspect pour d’autres.


Serait ce l’aboutissement futur concret de ce « nouveau mode de gouvernance mondiale » convoité par Jacques Chirac dans le discours de lancement de sa fondation ?
[4] Ou le « vivre ensemble » qu’avait défendu lors de ce rassemblement l’académicien et franc-maçon anglais Eddy Caekelberghs en appelant à défendre ce qu’il appelle les « valeurs universelles communes » ? Ou la « société civile sans frontière » que l’on construit en « généralisant l’apprentissage des valeurs démocratiques » et défendue, lors de cette même occasion, par M. Marilyn, académicienne française ? Ou encore « le mondialisme social » renforcé par le « mondialisme de l’éducation et de l’enseignement », seul « capable de vaincre les différences entre les membres de la société », et défendu par, D. Patrick, diplomate français ? On n’en sait rien pour l’instant. Tout ce que l’on peut comprendre en faisant abstraction des phraséologies et des idées de « Néo-lumières », c’est que les francs-maçons du monde entiers, et non seulement les européens, sont intéressés par la participation à la construction Européenne. On dirait une sorte de privilège selon lequel un citoyen non européen peut s’investir dans la construction européenne du moment qu’il est franc-maçon… De toute façon force est de constater que cette année a été un peu particulière au plan européen pour la franc-maçonnerie car elle a été, pour la première fois, officiellement valorisée à un haut niveau européen. En effet, une délégation composée de la Fédération française du Droit Humain, de la Grande Loge Féminine de France, du Grand Orient du Portugal et du Grand Orient de France a pu rencontrer le Président de la Commission Européenne, José-Manuel Barroso, le 8 avril dernier. [5] Une rencontre qualifiée dans un communiqué de presse de la Fédération Française du Droit Humain comme étant « un événement majeur quant à la place de la Maçonnerie dans la construction de l’Europe ».


Mettant de coté le compas et l’équerre, outils du Grand Architecte de l’Univers (appelé Grand Architecte de la Matrice dans la fameuse trilogie de Matrix), les francs-maçons de ce dernier rassemblement ont délaissé pendant quelque temps leurs rituels grottesques (adjectif issu de « grotte » et non un « t » dédoublé de « grotesque ») pour apparaître, pendant les quelques réunions rendues publiques et accessibles aux journalistes lors de cette occasion, comme dans une sorte de séminaire ou des orateurs assis à une grande table s’adressent à un public attentif comme dans une conférence de l’une des commissions des Nations Unis. Pendant ces « séances de travail » publiques, il a été question de traiter des sujets classiques d’actualité comme les problèmes climatiques, l’immigration, la lutte contre la pauvreté, l’importance de la laïcité dans les programmes scolaires comme « seul moyen de lutte contre les discriminations religieuses »… des thèmes par lesquels on est martelé tous les jours. On se demanderait même sur la transparence qu’ils disent apporter, en reprenant les mêmes discours de langue de bois qui nous entourent de partout, dans leurs réunions publiques ? Bien entendu, à l’occasion de ce rassemblement, on n’a quand même pas rompu avec la sainte tradition du « secret », c’est pourquoi il y avait aussi eu des « séances de travail » à huis clos qui ont tout naturellement réanimé les bonnes vieilles questions habituelles, comme « s’il s’agit en franc-maçonnerie de débats libres, enrichissants et constructifs, pourquoi les gens (en faveur desquels elle prétend penser et planifier d’agir) n’ont il pas le droit d’assister à ces échanges d’idées tellement bénéfiques pour l’humanité ? ». "Secret de fabrication" peut etre, pour reprendre les termes du candidat Sarkozy interrogé, à la sortie du débat avec Ségolène Royal, sur la manière de laquelle il avait préparé "ce grand rendez vous"...


Notons dernièrement que José-Manuel Barroso, qui était présent lors de ces "journées euro-mondio-maçonniques", a « salué » en tous ceux qui ont répondu présent à ce grand appel de rassemblement international, la servitude qu’ils ont exprimée à l’égard des « valeurs européennes ». Un « salut » qui passa inaperçu, sans susciter de commentaires… On croirait volontiers que Barroso n’a pas bien compris que la morale à travers ce rassemblement est que la construction de l’Europe est un moyen pour construire le « Monde » et non une fin en soi.


L’intelligence maçonnique a évolué, et de nos jours elle essai de se montrer capable de capter et d’incorporer dans sa mouvance les idées révolutionnaires qui naissent en dehors de son système clos, comme l’idée de « citoyenneté active » qu’elle est vraisemblablement en train de s’approprier et d’intégrer dans sa vision stratégique des choses, consciente que les idées révolutionnaires sont plus rentables quand elles sont confiées à des élites qui les imprègnent de leur supériorité sociale et intellectuelle pour leur donner l’aspect d’une autorité morale suprême et le prodige d’amener les peuples à s’investir passionnellement dans des révolutions dont ils se croient être les propres créateurs, et ensuite les uniques propriétaires. Cependant, ce gradient de concentration élitiste selon lequel circulent les idées dans une société est en train de devenir de plus en plus fragile, car de partout naissent de simples citoyens qui osent non seulement transgresser cette fameuse tradition à s’identifier à la pensée des élites, unique dans son pluralisme le plus trompeur, puis de la revendiquer en toute force et ferveur comme si elle était originellement la leur, mais osent aussi faire propager la contagion d’une rage de penser un monde ou l’autorité élitiste sur l’esprit des gens serait moins abusive de leur bonne foi, plus humaine et plus libératrice, dans le sens anéconomique et apolitique du terme. En d’autres termes fonder un monde dans lequel « Le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite », comme le disait Gustave Le Bon. On peut être humaniste, philanthrope, laïque, adogmatique, sans pour autant être nécessairement franc-maçon. Loin de là, les vrais débats philosophiques ne sont pas ceux qui se font entre élites « clairvoyantes » dans des tours d’ivoires, réfléchissant sur les discours les plus socialement acceptables pour faire imposer les changements qu’ils comptent opérer sur le monde. C’est plutôt ceux qui se font entre les élites et leurs simples concitoyens. Car là, se manifeste vraiment la force d’aller à l’encontre des préjugés paralysant l’évolution d’une société. Un préjugé se côtoie dans la rue. On l’appréhende alors qu’il continue, tout en implosant sur lui-même comme une étoile mourante, à s’agiter dans l’esprit qui le porte, et non comme étant un échantillon socioculturel formolé destiné à être l’objet d’analyses élito-élitistes dans des laboratoires maçonniques suspendus entre le temps et l’espace, entre ceux qui ont du pouvoir et en abusent, ceux qui ont du pouvoir sans être capable d’en abuser, et ceux qui n’ont aucun pouvoir même pas sur eux-mêmes.


Car comme l’avait dit Kennedy, dix jours seulement avant son assassinant, « Le mot « secret » est en lui-même répugnant dans une société dite libre et ouverte. Et en tant que peuple, par nature et historiquement, nous nous opposons aux sociétés secrètes, aux serments secrets et aux procédures secrètes »
   [6] .

 


JFK - 10 jours avant son assassinat-Discours traduit


Ces paroles de Kennedy ont toute légitimité à traverser les années et atterrir dans notre époque actuelle, ou la mondialisation semble avoir poussé cette ouverture jusqu’à son paroxysme. La franc-maçonnerie peut être vue comme étant en fondamentale contradiction avec elle-même. Ce qu’elle dit, l’ouverture qu’elle prône, ainsi que l’abolissement de frontières qu’elle préconise, est d’une contradiction flagrante, absurde et voire scandaleuse, avec ce qu’elle est et ce qu’elle a l’intention de rester, c’est-à-dire fermée, continuant à élever autour d’elle des frontières de secret, d’une part en ce qui concerne le contenu de ses réunions internes, et d’autre part en ce qui concerne l’opacité qui s’interpose entre ses propres grands niveaux hiérarchiques, de telle façon que les gradés d’un niveau hiérarchique donné soient –intégralement ou partiellement- isolés de leurs « supérieurs » appartenant à des niveaux encore plus importants. Et tant que cette contradiction, que les artistes du langage peinent à dessiner comme étant « le mystère qui fait l’attractivité de l’art », sera préservée et même protégée, tant que toutes ces « opérations de com’ » ne réussiront jamais à rendre son discours et même sa raison d’être crédibles ni dignes de confiances, et ce même si son « humanisme » demeurera toujours le parc d’attraction préféré des élites en quête d’oratoires et de mystères qui leur élèvent l’ego à un rang plus supérieur que celui de la petite populace, là ou ils peuvent tout voir, sans jamais risquer d’être vus… Ou plutôt c’est ce qu’ils aiment croire.
Ah qu’il est merveilleux le désert égyptien vu depuis le sommet du Kheops !

 

Publié dans Franc-maçonnerie

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V
Bonjour l'Oracle,<br /> je suis passé par curiosité, étant tombé sur un article sur le rassemblement international d'Athènes. Je suis enseignant en sciences cognitives, psychologue de formation et intéressé par la critique des sociétés des associations de divers types et plus largement des systèmes humains. Suffisamment pour y faire un tour. J'ai passé une dizaine de jours dans la secte Moon à New-York il y a une quinzaine d'année. C'est le côté "église vivante" qui m'intéressait. Si j'avais vécu il y a 2000 ans, je pense que j'aurais bien fait un petit voyage pour rencontrer la bande de 12+1. Je pense que toute organisation humaine visant un idéal ou un projet, dès lors qu'elle atteint une certaine maturité et un certain succès, est forcément confrontée à un paradoxe : soit elle n'accepte que ceux qui sont à fond dans ses préceptes, et elle se ferme sur elle-même et disparait, soit elle reste ouverte et donc prend le risque de laisser entrer des gens qui ont pour projet non d'en servir les idéaux, mais de s'en servir. <br /> Chez Moon, c'était pareil, il y avait des naifs, ou des vrais adeptes (qui trimaient, priaient sincèrement, etc..) puis des petits opportunistes (contents d'avoir une matrice qui leur fournissaient le droit de rester aux états -Unis, la sécurité de manger tout les jours, des moyens,...)et enfin des vrais apparatchiks (qui ne croient pas une seconde à ce qu'ils contribuent à faire accepter aux autres, qui vivent dans l'opulence, etc.). Je pense que si tu observes les églises africaines, c'est pas très éloigné, les partis politiques ou les associations tiers-mondistes (cf les luttes de pouvoir pas piquées des vers chez ATTAC) idem,. la franc-maçonerie non plus : des vrais idéalistes, puis des petits arrivistes, puis des gens qui naviguent au dessus, sans doute des gens brillants mais qui ne croient au fond en rien d'autre qu'en leur supériorité sur le reste de la terre, ou en leur droit d'avoir une part de gateau plus grande, ...<br /> <br /> En tout cas moi j'en suis là, ce qui ne m'empêche pas de penser qu'on peut changer le monde ...mais je n'ai pas ton âge.<br /> <br /> just to contribute<br /> <br /> Vincent Grosjean<br /> Chercheur en Bien-être
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